De toute évidence, Sarah Palin est le candidat à la vice-présidence le plus surprenant depuis Dan Quayle en 1988, et probablement le plus risqué. Certains y voient une manière d'"énergiser" et de motiver la base républicaine, d'autres une tentative désespérée de changer totalement la dynamique de la course en choisissant un candidat original, à risque élevé mais potentiel élevé : il y a peu de chances que ça marche, mais si jamais ça marche ça peut apporter une victoire jusqu'ici inespérée.
La surprise du chef, Palin est inconnue des Américains (déjà que Biden était inconnu de la plupart des Américains...). Une des tâches des deux campagnes est donc de donner les points de vue qui serviront à la définir dans la presse et la population. Le terme de "hockey mom" (par opposition géographique et sportive aux "soccer moms", élément soi-disant essentiel de l'électorat de 1992 et 1996 en particulier) est soudainement apparu, un grand nombre d'histoires sur elle se sont répandues : ses 5 enfants dont un trisomique, l'enquête en cours pour abus de pouvoir en Alaska, ses positions extrêmes contre l'avortement et très conservatrices en général, ses positions pour et contre Ted Stevens ou le "Bridge to Nowhere", son passé d'athlète et de journaliste sportif, ...
Avec
tout ça, il faudra sûrement un peu de temps pour qu'une opinion se
forme réellement sur elle. L'enjeu n'est pas ce qu'il faut penser
d'elle, mais
ce que choix dit de McCain. Il paraît acquis
qu'elle est une femme forte et charmante, admirable sur de nombreux
aspects, mais aux positions nettement plus à droite que la population
dans son ensemble. Mais selon qu'elle réussisse à convaincre l'opinion
publique ou non, cela mettra alors en avant une des deux
caractéristiques principales de la personnalité de McCain : soit son
indépendance et son image de réformateur, de maverick, soit son côté
impulsif, excessif, voire irrationnel.
Les forces de Sarah Palin tiennent essentiellement à la manière avec laquelle elle a permis de revitaliser et remotiver la base du parti républicain, et la rassembler autour de John McCain, qui n'était pas leur favori. Jeune, dynamique, populaire, mordante, battante, intrigante, ... Une personnalité hors normes, mais une femme proche des classes moyennes, le dépaysement de l'Alaska en plus. C'est une femme qui fait de la moto, chasse le caribou, nomme ses enfants Bristol, Willow, Piper, Trig et Track. Son mari Todd est champion de motoneige.
Elle a joué au basket lorsqu'elle étudiait le journalisme, a travaillé comme journaliste sportive, puis avec son mari, avant de devenir maire de Wasilla, AK, puis gouverneur de l'Alaska début décembre 2006. Elle a donc une expérience "exécutive" que n'ont ni McCain, ni Biden, ni Obama, tous sénateurs. Pour l'équipe McCain, son parcours montre qu'elle n'a pas eu peur de s'en prendre aux lobbys, aux politiciens corrompus (notoirement nombreux en Alaska), et à ce titre renforce l'image de maverick, de justicier solitaire, de John McCain.
Ses positions sont très proches de celles des évangélistes qui ont porté GW Bush au pouvoir, et qui constituent une force importante aux USA. Tous ceux qui hésitaient à soutenir McCain, ou ne le faisaient que du bout des lèvres, sont maintenant totalement derrière lui. L'homme de radio Rush Limbaugh, qui a une forte influence sur une certaine partie de l'électorat de droite, qui n'a jamais caché son peu d'affection pour McCain, longtemps le moins républicain des républicains, l'appelle désormais "John McBrilliant". Pour avoir la moindre chance de gagner, McCain a besoin d'utiliser sa réputation de modéré pour gagner les centristes. Le rôle de Sarah Palin estdouble : garder la droite conservatrice derrière un candidat modéré , et essayer de convaincre des femmes déçues du sort qu'Obama a fait à Hillary Clinton. Vu l'éloignement des positions, cela peut paraître impossible, mais c'est probablement la seule chance de McCain.
Où commencer...
Les problèmes que posent Sarah Palin aux républicains sont doubles : par rapport à ce qu'elle est, et par rapport à son image, surtout comparé à Barack Obama. Je les ai longuement abordés la semaine du 30 août, que vous pouvez consulter dans la page principale, ou les archives, dépendant du jour où vous visitez.
Sarah, ce quelle a fait, ce qu'elle pense
Elle est une inconnue, aux positions très à droite, donc très éloignées de la plupart des américains. N'ayant exercé aucun mandat national, ses positions sont encore mal connues, mais il semble qu'elles ne vont pas plaire à tout le monde, en particulier l'opposition à l'avortement même dans les cas de viol. Au jour où j'écris ces lignes, Sarah Palin est en passe de battre le record du nombre de jours entre sa nomination et sa première interview, et certains annoncent deux semaines avant que ça ne se produise.
Ensuite, comme si John McCain n'avait jamais enquêté sur elle avant de la nommer, elle trimballe une bonne quantité de bagages :
• Enquête en cours sur des manquements éthiques en lien avec le renvoi d'un agent public sur fond d'affaire de famille. Alors qu'elle avait promis de coopérer avec l'enquête, son arrivée dans l'équipe McCain a signalé le début d'efforts pour faire disparaître les charges.
• De manière générale, de nombreux renvois d'employés de l'Alaska pour des raisons plus que minces.
• Des affaires de famille : sa fille Bristol, 17 ans, est enceinte, alors que Sarah est pour une éducation sexuelle uniquement centrée sur l'abstinence.
• Si cette grossesse prouve que Bristol ne peut pas être, comme on a pu le dire un temps, la mère de Trig, l'enfant trisomique de Sarah, il reste qu'une des raisons de cette accusation était le comportement très dangereux de Sarah, qui, après avoir perdu les eaux, aurait fait un discours, pris l'avion sans prévenir personne, avant d'aller accoucher. Ca paraissait impossible, ça paraît maintenant juste irresponsable.
• Elle a été associée à des mouvements religieux dont les responsables sont accusés d'antisémitisme ou d'extrémisme.
• On lui reproche d'avoir été proche de l'Alaska Independance Party, dont son mari a été membre, et dont l'un des objectifs est d'obtenir la sécession.
• Ses positions par rapport à Ted Stevens, sénateur synonyme de corruption, se sont avérées ambigües, voire qu'elle avait menti, tout comme sur son affirmation qu'elle s'était opposée au "Bridge to Nowhere", ce gouffre à dollars fédéraux.
A l'heure actuelle (07/09), on pense que cette liste, compilée en quelques jours seulement, est incomplète. De nombreux avocats et journalistes se sont rendus en précipitation en Alaska, qui sait ce qu'il en ressortira d'autre.
Sarah, la célébrité sans expérience
Au mois d'août, John McCain a utilisé une stratégie agressive sur Barack Obama, l'accusant essentiellement de n'être qu'une célébrité, pleine de beaux discours mais vide de contenu, sans expérience et sans réelle idée concrète, mettant les USA en danger s'il était élu. Cette stratégie avait eu un certain succès.
Pourtant, avec le choix de Sarah Palin, John McCain se met en danger. Celle-ci étant beaucoup moins expérimentée qu'Obama, en particulier sur les sujets les plus fondamentaux de l'élection, l'économie et la politique étrangère (Irak en particulier), les attaques précédentes de McCain paraissent malhonnêtes et hypocrites.
De plus, l'élection oblige à se poser la question : Sarah Palin est-elle prête à être présidente des USA, dans le cas où John McCain venait à mourir ? Et la suite logique : John McCain a-t-il des chances importantes de mourir dans les quatre (ou huit) prochaines années ? Ce qui ramène à une des plus importantes faiblesses de McCain, son âge, et sa santé en général. Suite à une campagne assez dynamique, il avait mis de côté la plupart des questions sur ses 72 ans, ses cancers de la peau et les tortures qu'il a reçues au Vietnam. Mais tout électeur prudent devra se poser la question, ce qui n'est pas une bonne chose pour McCain.
Sarah
Palin pourra rassurer les électeurs si elle montre ses compétences et
satisfait tout le monde lors des interviews et du débat avec Biden
début octobre. Si par contre elle fait la moindre gaffe, cela risque
d'être très difficile pour elle et pour McCain.